Auteur : Doormouse
Titre : Broken
Format : CD, Digital
Sortie chez : Planet Mu (ZIQ051CD)
Lien Discogs : https://www.discogs.com/Doormouse-Broken/release/54479
Article publié en Mai 2003 sur Signal Zero
Auteur : OlgaZzz
Doormouse écrit la Breakcore telle qu’elle devrait être, et Venetian Snares telle qu’elle est… Ou inversement ?
Il fut un temps, le grand jeu du musicologue classique moyen était de s’amuser à comparer Debussy et Ravel et d’étudier ce qui différencie ou rapproche leur musique. C’est ainsi qu’on a pu lire des phrases aussi savoureuses et incompréhensibles qu’une chronique de Dronzzz comme « Debussy écrit la musique telle qu’elle devrait être et Ravel l’écrit telle qu’elle est » (à vos souhaits).
Enfin bon, pourquoi cette analogie un peu hors de propos me direz vous ? Car malgré tout, il faut garder les proportions, et nos deux artistes ne sont ni Debussy ni Ravel. Tout simplement parce qu’après avoir écouté « Broken » de Doormouse l’autre jour, j’ai commis l’erreur fatale de placer ensuite dans le lecteur l’inénarrable « Making orange things » de Venetian Snares et Speedranch.
Ce qui amène à la comparaison des deux, et à l’évolution de leur travail. Venetian Snares est canadien, et Doormouse américain. D’un point de vue général, le canadien a déjà pressé plusieurs albums, notamment sur des labels d’Europe, continent où sa musique est d’ailleurs fort bien reçue par les amateurs du genre. Il
se produit en live à de nombreux endroits.
Doormouse, depuis le Milwaukee, s’occupe de ses deux labels Addict et Distort, sort ses productions en vynile, a une boutique, et au fil du temps ses labels se sont imposés comme des références d’audace et de qualité musicale. Il organise des évènements dans sa région, et se produit essentiellement comme DJ. D’un point de vue strictement musical, si les deux la musique des deux est complètement folle, celle de Doormouse est chaude alors que celle de Venetians Snares serait plutôt glacée et implacable. Doormouse, au contraire de V-Snares, semble alléger son discours musical, c’est une plus grande fragmentation, une déstructuration apparente (et trompeuse) qui donne une impression de légèreté et de fluidité dans l’écoute. On est donc assez du pilon sous lequel Venetian Snares a pris l’habitude de nous faire passer. N’allez cependant pas croire que Dan Doormouse nous sert une espèce de Breakcore édulcoré en Jungle politiquement correcte. Jamais sa folie ne s’est exprimé autant de brio, et tout au long de l’album il souffle le chaud et le froid, alternant les morceaux implacables (composées de séquences échevelées brutalement stoppées puis reprenant tout aussi subitement) avec des morceaux plus aérés, plus destructurés, où les percussions se font plus étalées, moins dures, et plus spasmodiques.
La construction/déconstruction des morceaux n’obéit à aucune des formes standard en général, et tout porte ici la griffe très américaine de Doormouse, il n’a aucun complexe et n’hésite pas à se lancer dans des échafaudages abracadabrants. Et malgré l’abondance de ruptures, les morceaux sont très cohérents.
Les sons de percussions sont typiques de Doormouse : kicks distordus, snares junglisées, hihats sonores. Comme toujours chez Doormouse, de nombreux samples en tout genre sont utilisés, et ils le sont avec un à propos et un talent que beaucoup doivent envier à notre homme. Lorsqu’ils sont mélodiques ils sont en général parfaitement intégrés à la rythmique et contribuent pleinement de l’ambiance du morceau. Chaque sample vocal n’est qu’une interrogation toujours plus pertinente sur l’american way of life tant idolâtré.
A part le morceau Puddy Tairs, sorti sur le Addict 004, les morceaux sont, à ma connaissance, spécifiques à cet album. Ce disque est enthousiasmant, beaucoup d’amateurs de Doormouse devaient attendre un tel album. Nous sommes gâtés.
Il n’y a que deux problèmes. Le premier est qu’il n’y a pas le même décalage entre D et S qu’entre T et H.
Le second est que si après avoir écouté « Broken » on met sur la platine « Higgins Ultra Lowtrack etc… » de Venetian Snares, les comparaisons du début de ce billet ne tiennent plus tellement.
Conclusion, les choses sont bien comme je le disais au début : Venetian Snares écrit le Breakcore tel qu’il devrait être et Doormouse l’écrit tel qu’il est ! Ou inversement ? Ah, quel beau métier que celui de musicologue !
N’empèche : nous sommes gâtés.