Entré dans les rangs de la collection Anticipation dans la seconde moitié des années 80 sous le pseudonyme de Samuel Dharma, Patrick Eris y a signé quatre titres pleins d’action, de fureur, et de noirceur gothique… A la mort de la collection, on retrouve ce polymorphe à peine pervers un peu partout, qu’il signe une poignée de Blade sous le pseudonyme collectif de Jeffrey Lord, un Poulpe ou des romans fantastiques de haute tenue. Amateur éclairé de gothique et d’electro, c’est tout naturellement que Patrick Eris, qui œuvre désormais davantage dans le polar intitule son dernier roman Les arbres, en hiver d’après une chanson de New Model Army, et truffe ses textes de références à nos genres de prédilection. Traducteur de Graham Masterton, Clive Barker, Graham Joyce ou Joolz Denby, il est également éditeur au sein des éditions Malpertuis, et chante au sein du collectif d’auteurs et musiciens The Deep Ones… Un parcours des plus chargés qui n’est pas prêt de ralentir (un nouveau recueil de nouvelles est annoncé pour novembre chez Rivière Blanche), dont nous sommes allés chercher les racines… près des eaux du Fleuve.
Comment as-tu été amené à entrer au Fleuve Noir et dans la collection Anticipation ?
Patrick Eris : C’était un temps béni où on avait ses chances en envoyant son manuscrit par la Poste, tout bêtement. C’était un risque calculé : comme j’avais publié quelques nouvelles, passer au « long » était logique, et contrairement à beaucoup, le format restreint en taille du Fleuve me convenait, encore aujourd’hui, j’aime les romans qui rentrent vite dans le vif du sujet et ne succombent pas au syndrome du Livre Ventripotent™. J’avais rencontré Richard D. Nolane peu de temps auparavant, il m’avait dit qu’ils cherchaient des auteurs un peu plus jeunes pour renouveler leur collection Espionnage, un genre qui ne m’a jamais passionné – quoique beaucoup sont des polars avec un espion à la place du policier – mais comme j’avais envie d’écrire des textes avec pas mal d’action (on était à l’ère des Schwarzenegger, Stallone et consorts), j’ai relevé le défi. J’en ai écrit et envoyé deux coups sur coup, ce qui était la bonne politique, puisqu’ils voulaient des auteurs capables de produire. Je me disais que ce serait une porte d’entrée pour les autres collections… et ça a marché !

Qu’est ce que la collection représentait pour toi à cette époque ?
Quelque chose d’accessible car tout le reste de l’édition me semblait être inabordable. C’était aussi la possibilité de beaucoup publier dans les diverses collections, et comme j’avais cette vision un peu idéalisée de l’auteur populaire prolifique… j’ai essayé les polars, mais je crois que je manquais de maturité pour en écrire. Les manuscrits resteront à leur place, dans un tiroir !
Quels étaient tes auteurs et périodes favoris de la collection ?
Joël Houssin, Alain Paris, Michel Pagel, Michel Honaker, GJ Arnaud, Serge Brussolo (bien sûr) et parfois des gens qui n’ont fait que passer, comme le duo qui signait Lucas Gorka ou François Sarkel, plus connu maintenant sous le nom de Brice Tarvel. Les premiers Christopher Stork aussi.
Comment se passait ton travail au Fleuve ? Les auteurs recevaient-ils des consignes particulières, en dehors des formats imposés ? Comme un nombre de volumes, un héros récurrent ou du placement produit comme ça a pu être le cas pour Espionnage et Spécial Police ?
Non, rien de tout ça sinon la taille. Mon dernier Anticipation a été coupé un peu à la tronçonneuse et pas par moi… J’ai été amené sur certaines collection qu’ils voulaient lancer, comme « Femme Viva », qui n’a pas duré, à travailler avec une « bible » détaillée ou sur une collection avortée de livres dont vous êtes le héros. Peut-être était-ce différent avec les auteurs ayant plus d’ancienneté.
Un seul de tes titres, Le Chemin d’ombres, a été repris après Anticipation, mais sous l’identité de Patrick Eris. Pourquoi pas Samuel Dharma ? c’était un pseudonyme trop lié au Fleuve ? Et as-tu des pistes pour rééditer les autres ?
Je l’ai énormément réécrit vingt ans plus tard, ce qui est toujours un drôle d’exercice, c’était donc presque un autre roman. Si mes souvenirs sont bons, c’est Serge Lehman qui avait dit à un éditeur qu’il y avait du potentiel si je le retravaillais avec plus de métier, c’est donc ce que j’ai fait avec l’exercice délicat de me mettre dans la peau de celui qui l’avait écrit à l’époque, et qui maintenant, me semble être quelqu’un d’autre. Pour le reste, j’ai cannibalisé quelques idées de Nécromancies pour un de mes Blade, les autres… Eh bien, je crois qu’ils sont très bien là où ils sont ! Je ne pense pas qu’ils méritent d’être réédités.
Tu publies aujourd’hui tes textes plus typiquement SF chez Rivière blanche, est ce que tu vois ça comme la continuité directe d’Anticipation ?
C’est ce qu’a toujours voulu être cette collection, jusqu’à la maquette ! C’est la dernière à publier du vrai roman populaire. Cela dit, je n’ai sorti qu’un seul titre vraiment SF chez eux, Fils de la Haine, et encore, un autre éditeur me l’avait refusé en disant que la structure était celle d’un polar fantastique.
Avec le recul, quels souvenirs gardes-tu de ta période Anticipation ?
Je regrette de ne pas avoir eu plus de métier à l’époque (j’avais vingt-quatre ans quand j’y suis entré !) Et puis cela m’a évité de mourir de faim… En tout cas, je suis persuadé qu’il y aurait encore de la place pour des collections comme Spécial Police ou Anticipation, qui ont été tuées plus par une volonté de laisser pourrir ou des erreurs éditoriales flagrantes, comme de claquer des fortunes dans des « relookages » à répétition au lieu de se consacrer sur les textes (mais il faut bien faire travailler les copains…), qu’à cause d’une raréfaction du public. Dirigée par quelqu’un comme feu Patrice Duvic, qui aimait vraiment ce qu’il fait, peut-être serait-elle toujours là. C’est aussi ce qui a éliminé Gore, elle avait toujours un lectorat, était largement bénéficiaire, mais dérangeait dans le paysage éditorial. J’en avais un qui aurait dû être publié, mais le couperet est tombé avant…
Et quel regard portes-tu sur le parcours de la collection, sur la place qu’elle a pu avoir sur la SF française ?
Prosaïquement, elle a été un moyen pour des auteurs de vivre, tout simplement. De publier des romans courts et pas trop mal payés. Sinon… eh bien, je ne suis plus trop au fait de ce qui se fait en SF, mais elle ne peut avoir duré si longtemps sans laisser sa trace.
Penses-tu qu’il demeure aujourd’hui un héritage Anticipation ?
En tout cas, beaucoup d’auteurs qui y sont passé, et pas que moi, ont toujours des regrets ! Personnellement, ça me convenait parfaitement, et me faire virer assez méchamment – et certainement pas parce que mes romans, pour ce qu’ils valaient, ne se vendaient pas – a été une vraie blessure.
Tu es aujourd’hui pleinement engagé dans le polar. te vois-tu revenir à des textes comme ceux que tu publiais au Fleuve ?
C’est toujours pareil, la fonction crée l’organe : a priori, je suis passé à autre chose, mais si une collection équivalente se créait et me proposait d’écrire pour elle, je commencerais à y réfléchir sérieusement !