Au fil de ses cinq premiers album, Lebanon Hanover, le duo composée de la suissesse Larissa Iceglass et du britannique William Maybelline, avait su s’imposer comme les maîtres d’une Coldwave minimale, nostalgique et dépressive, aspirant à une vie qui n’existe déjà plus. Mais voici qu’arrive Sci-Fi Sky, étonnant présage d’un monde déjà post-apocalyptique pour lequel Lebanon Hanover a frappé fort, en mêlant dureté des titres, froide lucidité et extases mystiques.
La bande-son idéale pour danser sur les ruines du monde !
Sci-Fi Sky est votre album le plus dense à ce jour, avec des guitares nettement plus présentes sur certains titres, davantage de distorsion et un plus grand travail sur les textures. Cherchiez-vous à vous éloigner du relatif dépouillement de vos précédents albums ?
Larissa Iceglass : Nous étions prêts à pénétrer dans une nouvelle galaxie et à troquer notre minimalisme atone pour une nouvelle noirceur plus chargée.
William Maybelline : C’était avant tout une progression naturelle. Nous avons toujours été adeptes des sons amples, et je pense que cette lente montée en puissance découle de notre fascination pour les pédales de fuzz.
L’album a semble t-il été entièrement écrit avant la pandémie, ce qui rend vraiment étonnante la façon dont il reflète parfaitement l’ambiance pesante de ces derniers mois. Pensez-vous qu’il aurait été très différent s’il avait été écrit durant cette période ?
Larissa : L’album est effectivement une sorte de prédiction de la pandémie. Je suppose qu’il aurait été encore plus apocalyptique si nous l’avions écrit ces derniers mois, donc il nous reste à voir ce qui va se passer maintenant.
William : Je pense qu’il aurait été plus ou moins semblable, car nous étions déjà portés par une vision et une vibration particulière, et malgré la pandémie, ce sont ces sensations et ses souvenirs qui nous poussent. Évidemment, nous aurions sans doute été encore plus sombres si nous l’avions écrit pendant le premier confinement… mais je pense que tu pourras voir ce que ça aurait donné puisque j’ai écrit le nouvel album de Qual, qui ne va pas tarder à sortir, pendant cette période. Tous ces événements y ont apporté un sentiment de terreur apocalyptique, même si je trouve qu’il y a déjà des moments plutôt apocalyptiques sur Sci-Fi Sky !
En tant que groupe autant qu’individuellement, vous avez vécu dans des endroits très différents. La campagne suisse pour Larissa et l’Angleterre pour toi, puis Berlin et maintenant, tu es installé en Grèce. Comment tous ces lieux ont pu influencer votre musique ?
William : Honnêtement, je ne sais pas. Je ne me sens jamais consciemment affecté par mon environnement lorsque j’écris, à l’exception des moments où je me trouve à composer dans ma ville natale, mais je suppose que cela vient avant tout d’une combinaison des moments heureux et tragiques que j’y ai vécus, qui font que cet environnement spécifique provoque en moi des sentiments très forts et mitigés. Mais c’est moins vrai pour les autres lieux.
Qu’est ce qui a motivé ce déménagement en Grèce ? C’était pour être plus proche de votre label ?
William : Ma principale raison était simplement de me rapprocher de ma femme et de mon bébé. Naturellement, c’est également un grand plaisir de me trouver proche du label car nous sommes amis.
Depuis vos débuts, vous êtes restés fidèles à Fabrika. Pensez-vous que ce soit le label idéal pour Lebanon Hanover, en terme de taille, de catalogue ou de relations avec les artistes ?
Larissa : Une merveilleuse amitié est née au cours de notre longue route ensemble. Que ce soit pour résoudre un problème ou affronter un nouveau défi, ils sont toujours là pour nous soutenir et assurer nos arrières. C’est vraiment miraculeux de trouver des gens comme eux en ce monde.
William : Nous avons toujours été très heureux d’être avec Fabrika et depuis le jour de notre rencontre, ils nous ont offert tout l’amour d’une mère et d’un père, et nous leur rendons bien. Nous leur sommes éternellement reconnaissants pour ce qu’ils ont fait et continuent à faire.
Sur vos albums, vous chantez chacun vos propres titres, et développez des ambiances qui semblent particulières à chacun d’entre-vous, les morceaux de Larissa étant globalement plus mélodiques et ceux de William plus dissonants. Comment travaillez-vous chacun sur ces titres ? Savez-vous dès le départ à qui ils seront attribués ?
Larissa : Nous sentons assez naturellement quel titre conviendrait à l’un ou à l’autre. Dans la plupart des cas, c’est clair dès le départ.
William : C’est vrai, ça vient de manière naturelle, il y a quelque chose dans certains morceaux et qui nous font dire “oh, cette voix va à cet endroit”, et neuf fois sur dix, ça fonctionne ainsi.

Ce n’est pas la première fois que vous consacrez un titre à l’omniprésence excessive des outils numériques sur nos vies quotidiennes ; et « Digital Ocean » est à ce titre une déclaration forte sur le monde de médias désincarnés qui nous entoure. Et même si vous maintenez vous-mêmes une présence en ligne, elle est minimale par rapport à d’autres groupes… Le « vrai » monde est-il plus important ?
Larissa : Le temps passé hors ligne m’est essentiel. Je ne renie pas complètement les réseaux car je trouve aussi une partie de mon inspiration sur le net, mais au final, le temps passé sur un smartphone est totalement perdu. Nous continuons à évoquer ce sujet parce qu’au cours des dix dernières années, la situation n’a fait qu’empirer.
William : Le fait est ; et c’est un peu le sujet de cette chanson, que même si tu sais que ces réseaux sont une perte de temps, tu veux quand même en faire partie, et sans même t’en rendre compte, tu ressens le besoin d’y être présent, car c’est une drogue à laquelle nous sommes tous accros, quoi qu’en en dise. Mais d’un autre côté, j’aspire à pouvoir aller dans la campagne, m’allonger dans un champ et regarder passer les nuages. Ce dilemme est réel, nous ne pouvons ni vivre sans ces outils ni vivre avec.
Avec la pandémie, une part encore plus importante des contacts sociaux se font en ligne, avec des visio-conférences, des cours en ligne, et même des concerts ou des festivals entiers entièrement en streaming (auxquels vous avez vous-mêmes participé puisque Lebanon Hanover et Qual ont figuré au programme des festivals Gothicat). Pensez-vous que ce type d’événements puisse être une solution à l’isolation qu’on nous impose ?
Larissa : C’est certainement une solution pour certains artistes et nous avons nous-mêmes considéré cette possibilité mais ce serait techniquement assez difficile puisque nous vivons dans des pays différents.
William : C’est évidemment une bonne chose que nous puissions tous rester actifs d’une manière ou d’une autre, et ces événements aident beaucoup. Je pense que c’est la seule et unique solution pour le moment, et je suis heureux qu’on ait cette possibilité, c’est le bon côté des médias numériques (rires). On ne doit jamais oublier qu’Internet est un outil formidable, mais si on en abuse, il abusera de nous.
Contrairement à la plupart des groupes, vous avez toujours admis être nostalgiques des années 80, et ça s’entend sur le disque, qui sonne souvent comme s’il avait été enregistré en 1982. Et cela va même au delà de la musique, avec les photos que vous publiez ou la vidéo de « Digital Ocean » qui a été enregistrée avec un vrai caméscope d’époque…
Larissa : Ma fascination pour les choses du passé a toujours été un élément de ma vie. J’habite dans une maison qui date de 1904 et je tourne sur de la vraie pellicule. Nous n’essayons pas délibérément d’être fidèles à une époque en particulier, cela nous vient naturellement car notre cœur bat pour ce genre de musique. La musique doit avoir une certaine crudité, des imperfections, pour pouvoir exprimer des sentiments.
William : Je ne pense pas que nous soyons fidèles au début des années 80, mais c’est juste une ambiance que nous avons toujours aimé et dès que nous le pouvons, nous aimons développer cette esthétique, pour garder vivante cette période dont nous sommes grands fans.
N’est-ce pas un peu paradoxal d’être nostalgique d’une décennie que vous avez à peine connue ?
Larissa : Bonne question. J’ai été une enfant exposée à la Trance et à la Pop des années 90 et il m’a fallu environ seize ans pour découvrir Kraftwerk. En entendant le Minimoog pour la première fois, j’ai réalisé qu’il y avait une vie avant le plastique et j’ai tourné le dos à ma génération.
William : Je suppose que c’est un peu bizarre, mais c’est comme si nos âmes s’étaient connectées en même temps au passé, et ça nous a semblé totalement naturel.
Dans la vidéo de « Digital Ocean », vous fracassez des nains de jardin, un morceau de l’album s’intitule « Garden Gnomes ». Qu’avez-vous contre les nains de jardin, à part qu’ils sont sans doute la plus laide des décorations possibles ?
Larissa : Je les trouve fascinants, à la fois très ordinaires et occultes. Les fracasser m’a semblé thérapeutique.
Sci-Fi Sky laisse apparaitre pour la première fois des influences orientales, dans des titres comme « Third Eye in Shanghai » ou « Come Kali Come », aussi bien du point de vue des références aux spiritualités asiatiques, que de celui du chant. Est-ce une découverte à laquelle vous avez été exposés pendant votre tournée chinoise de l’an dernier ?
William : Kali est une divinité que j’ai toujours vénérée, et je crois que cette idée de spiritualité et de psychédélisme a également inspiré Larissa. J’ai toujours été une sorte de païen et donc tout ceci est venu se compléter.
Avec Qual, tu explores des ambiances plus electro-industrielles, mais n’as-tu pas l’impression que ce projet ait en quelque sorte influencé Lebanon Hanover ?
William : Sur Sci-Fi Sky, si, certainement ! Il y a quelques moments plus durs sur cet album, qui en sont clairement inspirés, mais qui en même temps restent du Lebanon Hanover typique.
Comment voyez-vous le futur de Lebanon Hanover dans les mois qui viennent ? Comment pensez-vous que notre petit coin du monde musical va pouvoir émerger de tout ça ?
Larissa : Peut-être qu’ils vont annihiler la culture de ce monde et que nous allons tous périr. Mais j’aimerais beaucoup pouvoir revenir et enfin jouer notre album en live. Une tournée post-covid sci-fi serait une bonne chose.
William : Nous espérons continuellement cela, il n’y a rien que nous souhaitions davantage. Les choses commencent à prendre de l’ampleur en ligne et des alternatives se développent, mais ce que nous voulons vraiment plus que tout, c’est reprendre le chemin des salles de concert aussi vite que possible !
Lebanon Hanover : Bandcamp – Facebook – Crédits photo : Caroline Bonarde – Polar Noire