Depuis 1993, Rowland The Bastard est un acteur incontournable de la scène Acid et des free parties anglaises, notamment par le biais de son Sound System « Fun Factory » dans les 90s. DJ, producteur de premier plan, il a aussi géré des boutiques de disques, organisé des soirées, et écumé les dancefloors du monde entier. Il est un des fervents porte-parole du son London Acid, et a profité de cette année 2020 en demi-teinte pour relancer ses labels et être plus actif en ligne. Rencontre avec un soldat de la 303.
Où as-tu grandi, et quels sont tes premiers souvenirs musicaux ?
Mes premiers souvenirs musicaux sont liés à mon père, qui écoutait des disques sans arrêt. Mon premier disque était un album de Shirley Bassey, je ne me rappelle plus lequel, mais je m’en servais aussi comme d’un frisbee. J’étais très jeune. Mon 2nd disque s’appelait « All Aboard« , c’était une compilation de chansons pour les enfants. Je devais avoir autour de 6 ans lorsque mon père m’a donné son vieux magnétophone et ses cassettes, il y avait un microphone et je faisais semblant de présenter les disques comme à la radio juste avant de les jouer.
Sinon, j’ai grandi dans une petite ville de la banlieue d’Exeter dans le Devon, dans le sud-ouest de l’Angleterre.
Pourquoi avoir choisi de jouer de la Techno, et pas du Punk ou de la Jungle ?
J’ai commencé par jouer de la House Music, et j’avais pas mal de succès, mes prods House les plus anciennes ont aussi été compilées par des grands noms de la scène House à l’époque. Lorsque j’ai débuté, la Jungle n’existait pas encore. Il y avait juste 2 genres de Dance Music : la House et la Techno. En réécoutant mes plus anciens sets, je dirais que 95% des disques que je jouais étaient breakés, mais à cette époque c’était considéré comme de la House.
Pourquoi le nom « The Bastard » ? Je suis sûr que tu es un mec cool !
Mon premier pseudo de DJ était Reggie… Ou peut-être simplement Reg, je ne me rappelle plus. Je possédais un sound-system et j’organisais des soirées en club tous les vendredis – Fun Factory – et tous les samedis j’organisais ensuite une free party dans les bois quelque part dans le sud-ouest de l’Angleterre. J’étais toujours occupé pendant les soirées, en train d’installer le sound-system, remplir les groupes électrogènes, gérer le line-up, poser les lumières… Du coup quand mes amis m’appelaient en me voyant passer, je disais juste « Salut » et je poursuivais ma route. Je pense que certains l’ont un peu mal pris et ont fini par dire en anglais « There goes that Bastard Rowland! ». Un ami a transformé ça en Rowland The Bastard. Je n’ai pas choisi ce nom et en fait, je le détestais au début.
Pourquoi et comment as-tu commencé à jouer de la musique ? À quelle période c’était exactement ?
Je ne reparlerais pas de mes débuts avec le magnétophone de mon père à 6 ans (rires).. J’ai commencé à jouer en 1992. À ce moment-là, la scène rave au Royaume-Uni avait été prise d’assaut par des gens assez douteux, et je précise que je suis une personne un peu anxieuse. J’adorais la scène rave, et un jour tandis que des gens se faisaient braquer et que des bagarres éclataient dans une soirée, j’ai réalisé que les DJs n’étaient jamais au milieu de toutes ces galères, et je me suis dis qu’il faillait que j’essaye. J’ai de suite accroché.
Qui sont les personnes ou les crews qui ont eu une grande influence sur ta musique lorsque que tu as débuté ?
DIY et Lazy House furent mes premières grandes influences, c »était les crews qui organisaient des free parties dans mon coin quand j’ai commencé. La première fois que je suis allé dans un club, c’était parce que j’y étais booké. Mes racines sont clairement dans le mouvement des free parties underground.
Étais-tu investi dans l’organisation de soirées dans les années 90 ? Quelles étaient les connections et relations que tu avais avec les scènes rave et free parties ?
J’étais entièrement investi dans la scène free, mon sound-system s’appelait le Fun Factory, 40 kilos de son ! Pour le début des années 90s c’était assez impressionnant. j’avais besoin de 2 poids lourds de 7.5t pour le transporter. On avait construit tous les caissons nous-même avec un pote. On a installé ce système partout, dans les bois, sur les plages, dans des squats.. On s’en foutait tant qu’on faisait la teuf ! Le système Fun Factory s’appelait aussi parfois le Sunnyside.
Comment définirais-tu ton style en tant que DJ ? Est-ce que tu joues et digges exclusivement des morceaux Acid ?
Je ne suis pas le DJ au mix le plus « propre » mais mes sets sont toujours remplis de tricks, d’une bonne sélection et de mixes assez longs, puisque je joue rarement un seul disque pendant plus de 32 mesures. Je suis un peu introverti, et même si j’adore mixer pour un public fun j’ai besoin de garder mon esprit occupé et de focus sur mon set lorsque je joue, c’est pour ça que j’ai développé cette façon de mixer. Quand je joue en France, c’est souvent pour un public fan d’Acid du coup je joue pas mal de 303, mais sinon je joue pas mal de « Hardgroove » depuis quelques temps. Si tu checkes ma chaîne Youtube, la plupart des sets sont Hardgroove, en gros jusqu’à 145BPM.
Quand as-tu récupéré ta première 303 ? Quel était ton tout premier setup studio ?
Je ne me rappelle plus exactement quand j’ai acheté ma première 303, sans doute autour de 2005. Je l’ai revendu en 2009. Mon premier studio était installé dans l’arrière pièce de la maison où je vivais à l’époque. J’avais une paire de moniteurs Absolute Spirit Folio, une table de mix Studio Master, un module Roland M-DC1 Dance Module (que j’ai toujours), un module Roland Vintage Synth, un sampleur Akai s2000, un Moog Rogue, un autre clavier dont j’ai oublié les détails et un Atari ST avec 4Mo de RAM tournant sur Cubase. J’avais échangé du shit contre les modules et le sampleur. Cela m’a pris des semaines pour comprendre comment programmer le sampleur, à la fin j’ai fini par l’amener dans un shop où le mec après 2H passées à jouer avec à juste appuyer sur un bouton que je n’avais jamais utilisé et tout s’est mis en place. Cet après-midi là, j’ai composé un morceau qui est ensuite sorti sur le label Stay Up Forever RMX.

Peux-tu donner des informations sur tes labels ?
J’ai donc 3 labels : Bionic Orange (mon premier label), Infected Records (le label dont personne ne savait que c’était le mien) et B-Trax (un nouveau label avec une seule sortie en digital pour l’instant…). Bionic Orange est né en 1996 et c’est un pur label d’Acid Techno qui déboite. Je dirais que c’est le penchant dur de l’Acid Techno londonienne, il y a des labels plus durs mais le mien a un groove particulier. Infected Records a démarré en tant que label principal de ma société de distribution qui s’appelait Infectious Distribution. On avait besoin d’avoir des labels maison pour ne pas avoir à travailler uniquement avec des labels extérieurs. J’en ai eu 14 en tout. Infected a surement été le premier label a sortir ce son « London Techno », en gros des tracks Acid Techno sans les lignes Acid et avec un groove assez dark. B-Trax est un label digital que j’ai lancé l’année dernière mais sur lequel sortiront aussi des vinyles, en parallèle des 2 autres labels. Il est dédié au Hardgroove.
En France, le terme « Squat Techno » était souvent utilisé pour parler de la scène Acid anglaise. As-tu déjà joué dans des soirées Squat à Londres ?
Je n’avais jamais entendu parler de ce terme « Squat Techno ». Pour être honnête, je suis allé dans quelques soirées en squat mais pas autant que certains autres DJs. Lorsque ma carrière a démarré j’avais rarement le temps, ou j’étais trop fatigué, pour chercher une teuf en squat. Comme je jouais beaucoup à l’étranger et pas tant que ça au Royaume-Uni, j’étais souvent un peu fracassé par les voyages et les sets.
Parlons de ta première expérience de DJing, est-ce que tu t’en rappelles ?
C’était une free party organisée pour les 21 ans de ma copine à l’époque. On avait aucune idée du nombre de personnes qui viendrait, j’essayais de tenir le coup et j’ai levé mes yeux sur quelques centaine de ravers qui criaient, applaudissaient et dansaient à bloc. C’est quelque chose que je n’oublierai jamais. Cette nuit-là, j’ai fraternisé avec des gens qui sont encore des amis aujourd’hui. On a ensuite créé le crew Fun Factory après cette soirée, avec les gens que j’ai rencontré cette nuit-là.
Sur le même sujet, quels sont tes meilleurs souvenirs de soirées ?
Du coup, la soirée dont je viens de parler qui était très spéciale pour plusieurs raisons. Pour le reste : Glastonbury, IDance à Toronto, une soirée avec beaucoup de monde dans le centre de Paris, les raves au Venezuela qui sont juste ouf parce qu’ils les organisent sur les plateaux aux sommets des montagnes et du coup quand le soleil se lève tu peux voir le paysage sur des kilomètres.. La Colombie a des publics plus petits mais ils font la teuf du début à la fin. J’aime jouer en Amérique, ça a toujours été un rêve d’aller là-bas quand j’ai enfant. Du coup de tourner sur le continent, parfois pendant plusieurs semaines était un rêve éveillé, et j’ai aussi rencontré là-bas des amis qui le resteront longtemps.
Quelle est ton opinion sur la longévité du son Acid ? Arrives-tu à comprendre pourquoi le son de la 303 est toujours aussi populaire partout dans le monde, et toujours utilisé sur de nombreuses scènes ?
La 303 a eu une influence sans comparaison sur la Dance Music. Personnellement, je ne pense pas que la 303 ai une longévité conséquente dans toutes les scènes. Elle est bien sûr la base constante de la scène Acid Techno mais pour le reste ça a l’air moins régulier, plutôt par cycles.
Pourquoi penses-tu que le son Acid / Acidcore a été rapidement associé à ce qui est sans doute la scène la plus « wild » et politique de la sphère Techno – les free parties ?
Je n’aime pas les disques faisant référence à la politique ou aux drogues. Je joue de la Dance Music, pas de la musique motivée par la politique. Je veux que les gens dansent et passent du bon temps le temps d’une nuit en oubliant toutes les merdes qui se passent dans le monde. Je reçois pas mal de démos en ce moment qui sont des tracks plutôt cools, mais qui reprennent des samples anti Trump ou autres extraits de discours politiques dans le break.. C’est un peu lourd ! J’aime pas ça du tout.
Que fais-tu en ce moment et quels sont tes futurs projets ?
J’ai relancé mes labels et je sors des vinyls. Mon studio est finalisé et c’est monstrueux, j’ai enfin la main sur mon setup qui est assez différent des autres studios, sans table de mix, tout mon matos est directement récupéré sur ma carte son et manipulé sur Logic Pro X.
J’ai un nouveau site web : www.rowlandthebastard.co.uk où tu peux acheter les sorties et le merch des labels, et je n’ai d’ailleurs pas envie de bosser avec des distributeurs ou shops du coup tout sera exclusivement disponible sur le site.
J’ai démarré une chaîne Youtube où je mets en ligne des sets. J’ai démarré un podcast qui s’appelle A-B-P (Another Bastard Podcast) où je vais interviewer et discuter avec des gens intéressants du monde entier. J’ai rencontré récemment un réalisateur et on a des idées intéressantes pour des futurs mixes vidéos pour la chaîne.. Je suis toujours occupé (rires) !
Où te vois-tu dans 10 ou 20 ans ? Comment vois-tu l’évolution du son Acid dans le futur ?
J’espère continuer à faire ce que je fais, me lever le matin et promener mon chien, passer du temps dans le studio et gérer les labels, une façon de vivre idéale que j’aimerais avoir le plus longtemps possible. Je ne veux pas devenir riche, ou jouer à Tomorrowland, je veux juste une vie de qualité, qui me rend heureux. L’Acid sera toujours là, tout comme la 909 ou la 808. Peut-être qu’un nouveau style de musique fera des ravages sur les scènes, mais je suis prêt à parier que quelqu’un essaiera tout de même d’utiliser une 303 (rires).
Quel est ton track early-Rave favori ?
Rave Generator, par Toxic Two m’a fait rentrer dans le milieu rave.
Que penses-tu de la scène française ? As-tu de bons souvenirs des soirées ici ?
J’adore la scène française ! J’ai plein de bons souvenirs, souvent fun. J’ai joué en France pour la première fois au début des années 90. Avec 2 autres DJs anglais on a pris ma voiture d’Exeter jusqu’à Rennes pour jouer dans une soirée. On a rencontré l’organisateur en ville et on l’a suivi dans un bar. Il nous a demandé de l’attendre dehors et 5 minutes après il est réapparu en volant au travers de la porte, les pieds et mains levés vers quelqu’un d’autre, avec qui il était en train de se battre violemment. Quand la baston s’est arrêtée, il est revenu dans ma voiture et nous a dit calmement : « Désolé pour tout ça, suivez moi à la teuf ». Sur la route du retour en Angleterre, mes freins ont lâché et j’ai du utiliser le frein à main pour le reste du chemin. Un des DJs qui m’accompagnait dans la voiture venait juste de sortir de prison (il avait ramené des acides depuis la Hollande), du coup les douaniers nous ont retenus pour nous fouiller, ainsi que toute la voiture. Ils ont même passé les pneus aux rayons X ! Enfin j’ai du forcer une barrière stop pour monter à bord du ferry qui était en train de quitter le quai. C’était ma première expérience des teufs françaises !
J’ai aussi ramené mon sound-system sur un festival qui était le précurseur des teknivals français au milieu des années 90.
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