Stephanovitch. Ce nom résonnera à jamais dans l’esprit des ravers français de la première heure (et ceux d’après). Figure incontournable de la scène Techno / Hardtechno tout au long des nineties, Stephano avait une façon très personnelle d’aborder le mix DJ. Cuts, mix rapides et ciselés, découpe industrielle, il aura ponctué avec brio les événements phares des 90s (Boréalis, notamment). Son aura était telle qu’il fut bien souvent à l’origine de nombreuses vocations.. On le retrouve dans cette interview longue durée, en deux parties.
PARTIE I
Quel est ton tout premier souvenir musical, lorsque que tu étais gosse ou ado ?
Du plus loin que je me souvienne… je crois que mes premiers émois sur de la Dance Music furent dans les mariages et autres fêtes familiales des années 70/80, où je me surprenais à danser comme un sauvage sur les plages funky du DJ, de la platine ou de la compile…
J’aimerais revenir sur tes premières expériences en tant que musicien / DJ. Est-ce que tu avais une éducation musicale classique, ou des expériences Rock avant de découvrir la Techno/Rave ?
Du tout, je n’étais pas du tout sensibilisé à cette profession avant les Raves.. J’attendais avec impatience la série « Techno » à L’Acropole / Longjumeau / Essonne (grande concurrente du Métropolis au Pont d’Orly où naîtra plus tard la Tektonik…). En même temps il y avait le Rap qui débarquait, le Hip-Hop avec Sidney à la télé, quelques tubes Hip-House et la culture DJ.. mais je n’y prêtais pas attention plus que ça ! J’avais eu quelques liens avec le monde de la musique via la fanfare de mon village (trompette, tambour et des inoubliables défilés lors des armistices et autres commémorations.) mais voilà, rien qui ne m’annonçait la déflagration qui s’annonçait…
Du coup, quelle a été ta rencontre avec la musique électronique ? Comment as-tu débarqué dans ta première rave ?
Mon premier « flash » avec la musique électronique fut un dimanche il me semble, dans une émission de Guy Lux, où un groupe Belge était annoncé, un géant et des danseuses à coupe à franges & Doc Martens Post-Punk, exécutant une danse robotique. Son nom : « Confetti’s » clamant « This is the sound of C » !! Wouahhh quelle claque !… Lourd, synthétique, répétitif, hypnotique, mécanique avec une mélodie réduite à sa plus simple forme, efficacité immédiate… Jamais entendu avant.. qu’est-ce que c’était que ce machin… ?!! Et Guy répondant, « de la Newbeat, un mouvement musical en pleine explosion en Belgique… ». Nom de Dieu, La Belgique, j’y étais né, j’y retournais régulièrement voir la famille, traversant de longues routes nationales mornes, au milieu des champs et des villages aux maisons à briques rouges, un pays très agricole… Qui aurait pu croire ça ! Bref voilà j’étais pris au piège et plus jamais ma vie ne serait la même… La suite n’est qu’une longue série de faits TOUS liés à ce jour. Recherche d’infos sur les autres groupes de ce mouvement, les disques, les magasins de disques, les DJs vendeurs dans les magasins de disques qui te disent qu’il y a des Raves maintenant aussi à Paris, et voilà : Fort de Champigny – Rave Age, ma première véritable Rave, nous sommes le 28 septembre 1990..
Qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer en tant que DJ ? Quelle a été ta première date officielle ?
Dans le Fort, c’est une soirée organisée par Rave Age (Manu Casana), c’est donc mon baptême.. Un son si fort, jamais entendu ailleurs, D-Shake en live, Olivier le Castor aux platines. Alors qu’il travaillait la journée au magasin « Bonus Beat » rue Keller à Bastille, il enchaînait la nuit les dernières plaques reçues direct « from the States » avec des noms tels que Underground Resistance, Joey Beltram, mélangé à du son européen, du Belge essentiellement.. Et c’est là donc, au milieu des stroboscopes et de la fumée parfum fraise, que je décidais de ne plus quitter cette transe..
Pour ma première date officielle, ce fut un peu spécial, car mon nom était annoncé pour la 1ère fois sur un flyer, dans la toute 1ère soirée Fantom – Time Escape je crois, dans la vallée de Chevreuse, aux côté de Frank De Wulf s’il vous plait ! Mais je n’avais pas pu venir et mon poto Dj Mannix m’avait remplacé au pied levé… Donc faux départ, mais ensuite tout ça c’est pas mal enchaîné, et je me suis bien rattrapé !
Quelles ont été tes principales influences, aussi bien au niveau des DJs que des producteurs ou labels ?
En essayant de respecter la chronologie de mes influences, car oui, comme tout mouvement en pleine naissance, l’Electro était noyé sous des nouveautés incessantes de sonorités, de styles, de DJs.. Chaque semaine presque, au début en tous cas, chaque livraison de disque était un voyage vers l’inconnu… Un nouveau truc Belge, au gros sons indus sur de la Dance music (dans le désorde, R&S, De Wulf, TZ, Errotic Dissidents et leur « I sit on Acid » tuerie industrielopornoacid complètement timbré), ou un autre truc super soul synthétique direct from Detroit (Mills, Hood, Mike Banks), Chicago (Armani, Eric Martin, Armando) ou encore New-York et son fameux Beltram « Ecstasy.. Ecstasy….. », ça n’arrêtait pas, ça fusionnait dans tous les sens.. La Hollande aussi n’était pas en reste, Saskia et son Djax-Up Beats, Terrace ou Eddy De Clerc qui venaient faire des sets fantastiques à Paname. Les Allemands aussi qui faisaient découvrir leur Transe (Harthouse,Eye -Q, Sven, Oliver Bondzio) parfois Hard parfois Core (Labworks).. Les Italiens aussi ont été très influents sur Paris, par le biais des soirées Moznior, en haut d’un immeuble à Montreuil, où Francesco Farfa, Miki et leur bande, nous faisait voyager Balearic jusqu’au dimanche midi, Culte ! Puis ce fut le tour des Anglais et leur vague progressive, qui m’ont pas mal marqué. Particulièrement un set de Darren Emerson (Underworld) au Palais de Reuilly pour une soirée Soma, avec Fabio Paras…Démoniaque ! C’était des basses groovy, presque Disco, sur des ambiances lancinantes et mentales.. ou percussions de tout bords te perdaient dans une forêt humide mais chaleureuse.. Big Respect aussi à Laurent Garnier, qui via sa résidence au Rex Club, invitait les DJs de l’époque, de Derrick May à Carl Cox… Bref le train roulait à grande vitesse et c’était enivrant !
Pour revenir sur le DJing, comment as-tu débuté ? Achat de platines, entrainements chez les potes ou en studio ?
Mes toutes premières platines étaient des BST je crois, entrainement par courroie et pitchs plus qu’approximatifs, mais il y en avait un, et elles étaient bien moins chères que les reines MK2 de Technics, ce qui te forçait pour tenir un tempo à être constamment sur ton pitch pour anticiper & corriger, mais en douceur, car les cellules ne tenaient pas bezef.. Une bonne école quoi ! Je me souviens aussi qu’avant cette période, j’avais même démonté un lecteur double cassette, pour essayer d’y implanter un pitch fait-maison en allant distendre la courroie qui entrainait les cassettes.. Échec cuisant, mais la motivation était déjà là !
Avec mes BST donc, moi et ma bande, on s’entrainait dés qu’on pouvait. On achetait des disques à Bastille, puis on filait dans nos pavillons de banlieue, pour les mixer dans tous les sens.. C’était jubilatoire, une énergie de dingue, en attendant le week-end suivant, en écoutant FG 98.2, la radio officielle du mouvement, et les DJs d’alors Jerome PacMan, Guillaume La Tortue, Olivier le Castor… On essayait de faire comme eux, de les imiter, de s’inspirer de leurs sons, leurs styles, de comprendre le truc pour faire monter la tension.. Puis à force d’économie, vient le jour ou tu t’achètes TES MK2 à toi.. Et là tu entres chez les grands, les pros… comme en teuf ! D’ailleurs on s’était associé à Dj Mannix, pour acheter une paire à 2, que l’on faisait tourner chaque week-end, ainsi que les disques.. C’est à cette époque que les premières dates commencèrent à tomber (1992 – 1993).. Une anecdote, je me souviens d’un jeune DJ assez ambitieux on le sentait, qui était venu spécialement à la maison pour s’entraîner sur des MK2, il nous avait secoué la baraque avec son Transecore et son mix si particulier, son nom Manu le Malin..
Au début de ta carrière, tu as un boulot alimentaire à côté ou tu démarres direct en tant que « pro » ?
Je sortais de mes études, ou plutôt les Raves m’ont sorti de mes études, je n’ai même pas eu le temps d’aller bosser (en dehors des jobs d’été), qu’une activité rentable commençait à se dessiner dans les teufs.. Je me suis dit (et mes parents soixante-huitards ne m’en ont pas empêché, je les en remercie encore), ben écoute, vas y, fonce.. les soirées s’enchaînaient et ça semblait parti pour un bon bout de temps.. Alors j’ai crée ma petite entreprise, avec Kbis, comptable etc… ça a duré jusqu’aux années 2000.
J’aimerais revenir sur ta technique de mix. Rapidement tu étais le français avec le mix le plus « technique », souvent les gens parlaient de toi comme un DJ « mental » – enchaînements ultra-rapides de disques, cuts, mix à 3 platines – une capacité à raconter des histoires en utilisant des disques plus percussifs et rentre-dedans en somme, quelque chose qui était moins « français » à l’époque. Pour moi, c’est important car je pense que tu es à l’origine de toute une génération qui a préféré jouer comme ça. Est-ce que c’était conscient et réfléchi de ta part, ou est-ce que ça venait aussi de l’influence de DJs comme Jeff Mills par exemple ?
Belle question ! J’ai été sûrement, comme toute une génération, influencé par les artistes croisés dans les premières soirées. Garnier au Rex, Le Castor au Fort de Champigny, La Tortue au Forum de Grenelle, ou encore Farfa à Mozinor, tous ont eu leur part d’influence, surtout les 2 derniers qui m’on profondément marqué.. Guillaume La Tortue pour le côté mental et fou de ses mixes, toujours inattendus et parfois démoniaques, et Farfa évidemment pour ses sets créatifs, composition en live à partir du mix de 2 ou 3 disques joués en même temps.. Il y avait d’ailleurs des cassettes audios distribuées en souvenir des soirées Mozinor, où l’on pouvait réécouter les sets des DJs invités… Quelle idée géniale, on les écoutait en boucle, pour tenter de comprendre ce qu’il s’y passait.. Et Farfa en roue libre au petit matin, c’était quelque chose.. Il détournait probablement des techniques de Hip-Hop dans la Techno.. il savait injecter progressivement une ambiance sur une autre, par petites touches (comme un peintre surréaliste), en harmonie, il amenait le second disque sur le premier, et revenait dessus, par vagues, et paf basculait brutalement sur le break du second, les structures de la progressive d’alors (anglaise, belge ou italienne) le permettaient. Il faisait aussi beaucoup l’association de tracks plus rythmiques, séquentiels comme les américains savaient le faire, sur des phases de breaks plus atmosphériques pour vraiment créer…. Bref tout était là devant moi, il n’y avait plus qu’à parfaire mon style, au hasard des nouvelles productions… Et c’est vrai, que tu parles de Jeff Mills, et tu as raison, tu ne vois plus le mix de la même façon après l’avoir vu jouer.. Ce Ray Charles des platines t’ensorcelle littéralement. Et j’avoue que ces enchaînement rapides amenant la frénésie dans un mix, je lui dois.
Dans le Sud notamment, pour rester sur cette technique de mix, les gens parlaient souvent de « mix à la Stéphano ». Je pense que tu as eu une grande importance sur la scène rave sudiste. J’aimerais parler de ça, et notamment tes débuts dans le sud. Est-ce que tu te rappelles ta première date sudiste ?
Pas facile, mais si je dois résumer ma carrière, qui doit énormément au Sud, c’est assez simple, Les Pingouins ! Je leur dois beaucoup de choses, dont ma première soirée au Sud de la Loire, à Palavas je crois, dans un club près de la plage, avec son résident Jerome La Souris.. On a débarqué de Paris avec Mannix, sans savoir que Montpellier n’était autre que l’Ibiza française.. Et en effet, et on a pris une claque !
Public hyper enthousiaste, ambiance hyper cool, after ensoleillé jusqu’à l’éternité.. et des organisateurs… une joyeuse bande de potes étudiants, qui portés par leur passion de cette musique, se lançait dans le mouvement. Et oui par chance, je venais de croiser ceux qui allaient faire les plus grosses, plus belles, soirées dans le Sud, dont on entendrait parler dans toute l’Europe !
Donc.. Boréalis ! Est-ce que tu as des souvenirs particuliers du déroulement des soirées de 93 et surtout de 95, où ton set est certainement le meilleur de la soirée et qui semble te propulser à un niveau de notoriété encore supérieur ?
Ahhhhh les Boréalis…. Pour moi celle de 95 dans les Arènes de Nîmes restera à jamais, la plus belle.. Des moyens gigantesques au service de la passion, sans arrières pensées mercantiles. La rave originelle ! Même si il y a eu quelques déceptions en terme d’efficacité dancefloor (ce qui m’a pas mal rendu service), le plateau avait de quoi faire pâlir un raver anglais en vacances par là.. The Orb, Underworld, Jeff Mills.. le tout dans un décor historique grandiose, tout était réuni pour marquer l’histoire.. Mais la saga Boréalis avait commencé 2 ans avant sur un parking, celui du New-York Club à Pézenas où je jouais avec Mannix entre autre. Ce fut un succès, mais c’est surtout l’after qui fit parler de lui, sur la plage des Aresquiers je crois, dans le bar le Wave Rider, où quelques milliers de ravers débarquèrent le temps d’une journée estivale, diffuser leur hédonisme et joie de vivre d’un mouvement musical en pleine explosion, qui allait c’est sûr, révolutionner la société.. Je dois avoir encore la marque des coups de soleil pris ce jour là !
Mais revenons en 1995, oui cette Boréalis dans les Arènes fut incroyable, un rêve éveillé. Cette scène araignée géante, sorte d’alien échoué chez les Romains, qui crachait ses Watts psychédéliques, ainsi que les lumières colorés et les danseurs féériques . Il est vrai que le line-up était beau, peut être trop beau.. et ce au détriment de l’efficacité nécessaire dans un espace pareil pour satisfaire les ravers. Mais c’était pur, poétique, et me concernant, ça a été sans doute l’évènement qui m’a fait rentrer dans l’histoire de l’Electro Made in France (Garnier en glisse un mot dans son livre « Electro choc »). Un concours de circonstance m’a bien aidé d’ailleurs, puisque la courbe énergétique du line-up était restée assez plate, même Jeff Mills, censé tout faire exploser avait choisi de faire un mixe audacieux entre platines et lecteur de bande ce soir-là. Une installation qui n’a pas donné l’efficacité attendue.. Il n’avait pas réussi à allumer la flamme, la foule était en attente, impatiente, je n’avais plus qu’à poser les disques que tout le monde attendait.. J’enchainais alors mes ‘hits’ en haut, tout là-haut, assez loin du public, sans me rendre compte vraiment de ce qui se jouait plus bas, dans l’arène.. Ce n’est qu’en me relevant, sur mon dernier disque que je compris qu’il s’était passé quelque chose..
j’étais à la Borealis et aussi à la soirée Chrysalide 2 ( club la mandarine à Toulouse ) une soirée ou il à joué ( après ou avant je ne me rappelle plus trop ) avec les daft punk (encore non masqués à l’époque) Les 2 soirées étaient mémorables et stéphanovitch m’avait retourné le cerveau à la Mandarine avec son mix ( je suis même allé lui parler à la fin de son set pour lui demander des références de disques et sa gentillesse et sa disponibilité m’avait marqué ) merci encore pour cette interview !