Same player shoot again
Figure incontournable de l’underground hexagonale depuis le milieu des années 90, Mlada Fronta a défriché, depuis ses débuts, le champ extrêmement étendu des musiques électroniques, d’une electro-rock puissante à une indus rythmique massive et une electronica pointilliste et aérienne. Alors que Rémy Pelleschi depuis six ans, a fait opérer au projet une nouvelle mue qui place Mlada Fronta aux avant-postes de la synthwave, un retour s’imposait sur un parcours sans fautes… qui n’est pas prêt de se terminer !
Oldskool : Mlada Fronta a maintenant atteint l’âge respectable de vingt-sept ans. Te souviens-tu de ce qui t’a poussé à te lancer dans ce projet au départ ?
Rémy Pelleschi : Une bande de copains passionnés de musique et qui passions nos journées chez les disquaires, à aller aux concerts et à expérimenter musicalement ensemble. Ce qui nous a surtout lié, ce sont nos références musicales ; on avait les mêmes affinités pour des groupes comme Magma, Nine Inch Nails, Killing Joke, Ministry, Joy Division, Nitzer Ebb, John Coltrane, Underworld ou les Young Gods. Cela revenait sans cesse, inconsciemment car nous partagions la même vibration musicale, et c’est ce qui nous a conduit à la formation de Mlada Fronta. C’est un projet conçu à l’origine pour s’impliquer à fond, et pas pour simplement faire de la musique pour de la musique . Notre implication était totale, absolue, nous étions au service de la musique, les egos n’avaient pas de place, seul ce qui ressortait de nos expériences musicales comptait. Avec Gilles Saissi, nous avons passé des nuits et des nuits à expérimenter pour assembler tel un puzzle complexe nos idées, nos créations.
Gilles est plus âgé que moi et lorsque nous nous sommes à travailler ensemble, cela a marché tout de suite. Il était suffisamment ouvert pour s’affranchir de toute contrainte artistique, il pouvait jouer de la basse, de la guitare, de la batterie, c’était plutôt cool ! Et à cette époque, au début 90, j’investis dans un gros sampler EMU-III, puis dans une des premières stations Protools Digidesign C’était un huit pistes numérique sur une station Mac qui coûtait le prix d’une voiture, le tout synchronisé à un magnéto huit pistes 1/2 pouces mais qu’importe, on avait besoin de ces outils pour réaliser et imprimer dès le départ avec une certaine qualité toutes nos expériences sonores. On ne vivait que pour ça, je m’enfermais des journées entières dans notre petit studio au Cannet, qu’on surnommait le frigo car ‘était une ancienne chambre froide.
Notre intransigeance artistique nous à conduit à nous endetter dès le début afin d’enregistrer notre premier album en collaboration avec Patrice Quef au Studio Miraval, on a ainsi rencontré des artistes comme Indochine avec qui on a échangé des idées, discuté de musique, de nos influences artistiques, Car Miraval était un lieu propice à la création, c’était ça aussi ces gros studios résidentiels, des lieux de travail et d’échanges artistiques. C’est de là qu’est née ma volonté d’en faire ensuite mon métier d’ingénieur du son en parallèle de mon activité de musicien.
La musique du projet a énormément évolué, passant d’une electro rock à la Killing Joke, à des ambiances plus trance, puis industrielles, electronica et maintenant de nouveau plus techno et rythmique. Comment analyses-tu ce grand écart (passer de Dyoxides à No Trespassing n’est tout de même pas évident), et pourquoi avoir tout gardé sous le nom unique de Mlada Fronta plutôt que de lancer des sideprojects par ambiance comme le font la plupart des musiciens ?
C’est une question qui revient souvent. Mais c’est normal car Mlada Fronta est un projet qui est passé en effet par de nombreuses phases d’évolution musicale de façon naturelle, sans réflexion particulière, sans volonté de calquer à tel ou tel effet de mode. Je fais de la musique car elle exprime ce que je ressens vraiment, c’est un langage pour moi, une façon de partager avec le public une sincérité et des vibrations qui sont fortes. Je me fous de « réussit » dans la musique, toute cette histoire de hit parade, ça ne vaut rien, c’est du flan ! On ne fait pas de la musique pour réussir mais pour exister. Ça donne un réel sens à notre existence, et cela a été d’ailleurs un de nos premiers titres pour Mlada Fronta « A meaning to Life », dès 1992, la trajectoire était donnée.
Qu’importe le style musical, ce qui compte c’est la sincérité dans la musique. Il est important de garder son intégrité artistique et c’est quelque chose que je retrouvais avec Gilles, on était sur la même longueur d’onde et cela nous a conduit à composer trois albums ensemble. Ensuite j’ai souhaité faire évoluer Mlada Fronta vers d’autres expériences musicales, tout seul pour aller encore plus loin, jusqu’au bout de mes idées, tout en programmant et expérimentant avec des outils informatiques qui étaient nouveaux en 1997, c’est la genèse de l’album High Tension.
En fait toute cette démarche permet de saisir que si Mlada Fronta est avant tout une démarche artistique musicale, ce n’est pas que ça. J’attache énormément d’importance à la lumière, à l’imagerie, à la scénographie. J’ai toujours été passionné par les techniques du son à l’image, et travailler sous Da Vinci Resolve (ndlr : un logiciel de montage vidéo) c’est comme travailler avec Reaper (ndlr : un studio audio digital) c’est naturel et c’est un outil dont j’ai besoin pour concrétiser mes idées et mes visions. Récemment je me suis initié à Mad Mapper (ndlr : logiciel de gestion des projections et des éclairages) et cela agrandit mon champ de vision, cela m’apporte des compétences supplémentaires et permet de diriger les techniciens sons et lumière lorsque je suis en concert, car je sais ce que je veux et le fait de connaître le fonctionnement de toutes ces bécanes conduit à mieux maîtriser le résultat final.
Pour finir, je dis souvent qu’il ne viendrait jamais à l’idée d’un peintre de peindre toujours la même toile ou d’un sculpteur de concevoir toujours les mêmes objets. Si c’était le cas, ce serait dans une démarche mercantile, c’est du show-business. On s’éloigne de son implication première, de composer pour exister, de créer pour partager, de jouer live pour échanger. L’argent en soi n’est pas un idéal surtout lorsqu’on est artiste. Si on veut gagner de l’argent, ce n’est pas vers la musique qu’il faut s’orienter, pour cela il y a des métiers plus appropriés comme agent immobilier, banquier ou assureur…
Lorsque tu as sorti Every-Thing, qui compilait toute ta discographie avant Night Run, tu as tout de même omis Illusory Time. Est-il vraiment trop différent pour être considéré comme du Mlada Fronta ?
Illusory Time est un album qui est dans une fibre très différente de tous les opus qui sont parus ensuite. C’est un disque chanté, nous sommes dans une formation plus traditionnelle (batterie, basse, guitare, claviers/voix) et encore selon moi trop sous l’influence des nos références musicales de l’époque. Nous commencerons réellement à prendre des risques artistiques sur Tribal Apocalyptique Transe, c’est sur cet album que nous avons commencé avec Gilles à expérimenter au mixage. Les titres étaient composés, structurés mais au moment du mixage nous avons commencer à les déstructurer, à penser la notion de mix de façon complètement différente, plus rien n’était figé, le mixage devenait composition, expérimentation, tant au niveau du traitement que de la structure même du titre.
Nous étions alors en 1994 et les studios n’avaient absolument pas cette approche, il y avait un « classicisme » dans l’étape du mix qui engendrait chez moi une frustration car tout était trop codé, trop régi par des règles techniques et tout cela nous « freinait » vraiment, nous empêchait d’essayer telle ou telle autre idée au risque de changer l’idée originale. Ce n’était simplement pas dans les mœurs des ingénieurs du son de l’époque.
EveryThing est une représentation d’une période sonore où je naviguais principalement dans la musique électronique, expérimentale, powernoise et cinématographique. En sortant ce coffret, j’ai voulu clore un chapitre car j’avais amorcé de nouvelles compositions qui sortaient une fois de plus de cette vision sonore. Des remises en question, puis des prises de risque sont des moteurs essentiels pour se forcer à se renouveler musicalement, artistiquement.
A partir de Night Run, tu t’es lancé dans une nouvelle étape de ton travail, bien plus physique et immédiate que la précédente. Qu’est ce qui a amené ce changement de son ?
Night Run est plus en phase avec l’univers eighties des jeux vidéos d’arcade et de l’imagerie au néon. Le déclencheur a été le film Drive, de Nicholas Winding Refn, qui m’a immédiatement saisi, à la fois par son histoire, mais aussi par sa musique !
J’avais quatorze ans en 1980 et j’ai connu les premières salles d’arcade où je traînais des après-midi entières au milieu de toutes ces sonorités 8-bit de jeux vidéos. Les lumières super flashy des bornes d’arcade, le brouhaha de cinquante machines qui marchaient toute en même temps, c’était un vrai capharnaüm (rires) mais c’était super cool, on voyait les copains, passionnés de jeux vidéo mais aussi de musique, de cinéma et ensuite on passait chez notre disquaire préféré pour écouter les derniers vinyles sortis. Night Run c’est un peu une référence à tout ça, et c’est pas pour rien que l’album Outrun porte ce nom. C’est tout un concept musical, que j’ai voulu plus direct, plus facile d’approche, plus fun également avec des sonorités eighties qui font référence à toute une période que j’ai beaucoup apprécié.
L’aspect cinématographique a toujours été présent dans ton travail, jusqu’à ce qu’un de tes albums soit un film à part entière, mais on a l’impression que tu laisses encore davantage parler tes influences sur ces derniers albums : on croise Carpenter, Mad Max, les films de zombie… cette période et ces genres du cinéma sont importants pour toi ?
Le cinéma reste et sera toujours une de mes influences majeures. Je suis profondément cinéphile, je regarde plus de trois cent films par an, des années 70 à maintenant, je suis toujours à l’affût des nouveautés et des films qui méritent vraiment une attention particulière. J’ai d’ailleurs un peu le même comportement avec la musique. Ça ne me dérange pas de faire des kilomètres pour voir un groupe pas forcément connu mais qui a quelque chose à dire, où je sais que je vais passer un super moment, c’est une question de feeling, de vibe.
Mon dernier album, No Trespassing a été composé sans concessions, comme une histoire qui défile à cent à l’heure. Pas le temps de réfléchir, le danger est là, présent, tu ne le vois pas mais tu le sens. Une seule échappatoire : s’enfuir, loin, très loin pour survivre. C’est un clin d’œil à tous les films d’horreur, de science-fiction et de zombies qui ont tous joué sur nos peurs, nos angoisses, nos incertitudes. Et tel un road-trip, cet album ne cherche pas forcément à calmer le jeu mais plutôt à donner la force de s’immerger dans une course poursuite folle où seule la vitesse te permettra de t’échapper de cette horreur. C’est un hommage au film Mad Max, aux films de John Carpenter, où les happy end sont juste bons pour les films commerciaux. Dans ces films on est à chaque fois pris dans une situation qui nous implique avec des alternatives risquées, qui mettent notre vie en danger et qui demandent que l’on soit fort et courageux face à l’adversité, à la dangerosité de la situation.
J’ai toujours été fasciné par la vitesse. Cette vitesse où tu finis par perdre pied, par ne plus rien maîtriser. La musique pour moi est aussi un vecteur de vitesse. On parle après tout de la vitesse du son. C’est une notion que j’essaie toujours d’intégrer dans ma musique pour faire ressentir à l’auditeur le plaisir du volume du son à un rythme soutenu, une écoute un peu égoïste dans sa voiture… la nuit… 200MPH !
Que ce soit dans tes titres et les vidéos de tes concerts, on trouve énormément de références aux jeux vidéo. Tu as vraiment été un joueur acharné ?
Oh que oui ! Comme je te le disais, j’ai beaucoup joué dans les années 80 dans les salles d’arcade. J’étais d’ailleurs plus salle d’arcade que console de jeux même si j’en ai possédé. C’était le moment de se retrouver entre copains et de parler de musique, de filles, de disques. Le graphisme était assez secondaire dans les jeux de ces années là, seul le plaisir de jouer comptait, on avait des jeux vidéo qui avaient des histoires incroyables, par exemple R-Type ou Dragon Spirit. Les visuels étaient assez basiques mais en terme de jeu c’était incroyable ! qu’est-ce que j’aimais ces jeux vidéo, j’en ai mis des pièces de cinq francs (rires) !
Depuis quelques années, une vague synthwave s’est développée avec des groupes comme Carpenter Brut, Perturbator ou Protector 101, qui exploitent grosso modo le même filon de films et de culture du début des 80s que toi. Quelle est ton opinion sur ce courant ?
C’est pour moi un courant musical qui, musicalement parlant, n’est ni plus ni moins qu’un revival de la culture new-wave. La différence vient du côté nostalgique de l’imagerie empruntée aux films et aux jeux vidéo des années 80. Avec trente ans de recul, on utilise des sonorités qui ont marqué la génération des années 80 dont je fais partie, mais le concept de la synthwave est aussi intéressant dans le sens où toute l’imagerie 80’s y est utilisée et digérée, finalement un peu comme des samples par une génération de musiciens qui n’a pas connu cette période.
C’est marrant de voir comment ils essaient de s’imaginer, voire de fantasmer les 80’s sans les avoir traversées, et je trouve ça artistiquement très intéressant. Le souci vient plutôt d’une baisse de la qualité des compositions, voire d’un plagiat incessant qui conduit à une monotonie des sons, ce qui est le risque que rencontrent tous les courants musicaux. Il faut faire le tri et je dois reconnaître qu’un groupe comme The Midnight reste agréable à écouter malgré des sonorités assez sucrées, et qu’un groupe comme Carpenter Brut a apporté pas mal de fraîcheur au style avec beaucoup de sincérité, sa musique m’a accroché immédiatement car l’énergie est là, sans concession. Cela me reflète assez (rires).
Un aspect qui, je trouve, caractérise Mlada Fronta depuis le début, est la complexité de ta production, même sous une apparence de simplicité. Il se passe toujours énormément de choses dans tes morceaux, qui comportent beaucoup de couches sonores, ce qui te place à part du reste des groupes synthwave qui font rarement cet effort. Soignes-tu particulièrement cette dimension ?
Absolument. Mes compositions se font toujours sur plusieurs plans. Je travaille sur des couches de son pour ne faire qu’un son au final car je recherche la dimension dans le son. Toujours avec cette volonté du détail, de créer une attention particulière à chaque écoute. L’idée n’est pas d’impressionner mais de donner l’illusion que la composition a été réalisé avec quelques sons alors que parfois ils a plus de cent pistes dans le titre. Il faut toujours garder en tête l’idée principale du morceau. Qu’est ce que je veux retranscrire dans ce titre ? quelle émotion je veux privilégier ? Cela demande beaucoup de temps et de recul car les sonorités de synthé utilisées doivent être parfaitement choisies pour aller dans ce sens. C’est ce qui est long, car non seulement je joue toutes mes parties en temps réel mais je passe également beaucoup de temps dans le design sonore.
Il m’est impossible d’utiliser un preset de synthé tel quel car je me dis tout de suite que n’importe qui peut en faire autant. Alors, évidemment, on peut avoir le même son mais pas la même idée ni le même jeu, ou le même accord. Encore heureux (rires). mais de toute façon, ce son sera mélangé avec d’autres sons. J’ai toujours travaillé de la sorte, même un lead qui peut sembler un seul son est souvent composé de cinq à six couches de son. Pas pour donner plus d’ampleur au son, mais pour créer une originalité sonore, une différence qui parfois met parfois du temps à être perçue par l’auditeur.
Des groupes comme Autechre ou Speedy J m’ont pas mal influencé pour ces techniques de design sonore, et j’ai également beaucoup travaillé pour que ces techniques ne s’appliquent pas seulement pour des sons de synthèse mais aussi pour des rythmiques. Le rythme est un élément majeur pour moi, j’aime les rythmes complexes qui donnent au final une impression de simplicité. Quand j’arrive à donner cette illusion dans le rythme c’est gagné pour moi. Là aussi c’est une technique de combinaison de couches qui peut par exemple donner l’impression qu’un seul hi-hat joue alors qu’il y en a en réalité cinq qui s’imbriquent dans le temps, tout au long de l’évolution du morceau. Ce n’est qu’après de longues séances d’écoute que l’auditeur percevra ces variantes, ou ce petit placement à un moment précis dans la stéréo qui fait que je passe beaucoup de temps à travailler ces subtilités dans l’espace. Que ce soit pour le rythme, les sons, les mélodies ou les arpèges, c’est toujours le même principe : des couches sonores qui s’imbriquent pour n’en former qu’une seule.
Pour finir, je vois ou du moins j’entends le son en 3D. Tu as la notion de largeur (gauche – droite) qui est commune à tout le monde et celle de profondeur (de l’avant vers l’arrière) mais aussi la notion de hauteur qui est très intéressante et plus complexe, qui se développe à partir des fréquences qui nous sont naturellement perdues. Les basses fréquences font référence au sol tandis que les sons aigus sont plus aériens. Toute la plage de fréquences contribue à dessiner cette notion de hauteur selon l’intensité qu’on lui donne. Ce qui fait que, selon l’intensité du jeu, le placement dans le champs stéréo et la fréquence, on peut jouer sur un positionnement du son en 3D.Il existe aujourd’hui certains effets qui facilitent ce type de construction mais il faut savoir que dès Fe2o3 en 2001, j’appliquais cette technique de design sonore, ce qui explique cette sensation de découvrir sans cesse des éléments nouveaux à chaque écoute.
Est-ce que ton mode de composition a changé ? Utilises-tu plus de vraies machines que d’ordinateurs désormais ? Ta musique étant moins pointilliste on peut imaginer que tu travailles de manière plus directe…
Non, mon mode de composition n’a pas véritablement changé, même si les outils, eux, l’ont fait. Même si je reste un pianiste de formation, et que j’ai appris à en jouer au conservatoire, il existe maintenant des synthés virtuels qui sont incroyables pour le design sonore. La qualité est là, les possibilités immenses et c’est un régal de pouvoir travailler avec ce type d’instruments. Auparavant j’avais un parc de synthés analogiques conséquent avec une quinzaine de synthés analogiques (Moog, Oberheim, Sequential Circuit, Kawai, Korg, etc) et j’avais une approche plus « physique », mais ce qui m’importait était déjà le côté expérimental lorsque j’utilisais pendant des heures ces synthés. Finalement, lorsque des synthés virtuels de qualité sont apparus, je me suis vite rendu compte que j’obtenais au final le même résultat, dans ma démarche de composition, qui consistait à enregistrer des heures d’expérimentation avant de les réécouter et de les découper pour n’en extraire que les parties les plus intéressantes pour le titre en cours de création… ou de m’en servir pour un autre titre. Il m’est arrivé parfois de « merger » trois titres pour n’en faire plus qu’un seul, alors que les titres étaient mixés et construits, mais une idée arrive et on découpe telle ou telle partie, on les agence différemment et on se surprend du résultat obtenu.
Composer est un processus de création qui prend du temps car la notion de recul est fondamentale. Le recul apporte l’objectivité sur les choix que l’on a fait. Avec l’expérience, on arrive à réduite cette notion de recul mais elle reste selon moi toujours indispensable Car c’est jamais facile de dire qu’un titre est fini, qu’on n’y touchera plus, et que ça y est, c’est la version finale ! Et quinze jours plus tard on le réécoute et une nouvelle idée apparaît… il faut savoir prendre les bonnes décisions et savoir s’arrêter pour se focaliser sur l’essentiel: le message musical est-t-il toujours spontané ? Car le risque est de trop perfectionner un titre, de vouloir trop en faire pour au final l’aseptiser de son contenu, et de son sens et on sait alors qu’on est allé trop loin… le recul permet d’avoir cette vision objective et lucide.
En concert , alors même que tu propose une musique très rythmée, tu restes impassible et tout en retenue… le contraste est assez étonnant.
La concentration est primordiale quand tu joues en live. Je cherche à jouer le maximum de parties en direct car je ne vois pas l’intérêt de faire des concerts si c’est juste pour bouger un potard de filtre ! Le live c’est la prise de risque. C’est le risque de se planter mais c’est du live ! Ça implique de travailler ce que l’on va jouer en fonction des plans qu’on a élaboré, des vidéos que l’on a monté pour être synchronisées avec le titre. Alors oui, je cours le risque d’oublier une partie, de jouer une fausse note. Mais c’est tellement plus excitant que de faire le clown sur scène et de donner l’illusion de faire quelque chose devant des machines, alors qu’en fait la plupart des concerts electro sont de simples set « Live » où la seule action concrète est de presser la touche PLAY du séquenceur.
Dans un set live d’une heure je dois changer les paramètres pour chaque titre, avec une station Elektron Octatrack qui me permet de contrôler la structure même du titre que je peux rallonger ou modifier comme bon me semble. En plus de cela je dois jouer mes parties (accords, arpèges, lead), synchroniser les ledstrips via MadMapper, synchroniser les vidéos, synchroniser les lumières. Pareil pour les effets qui sont gérés en temps réel en plus du jeu. Quand tu as quinze titres à jouer, tu es forcément plus concentré que préoccupé par la chorégraphie ou l’attitude à avoir sur scène ! Je n’ai même pas le temps de boire une bière (rires).
Tu as été très productif ces dernières années, avec quatre albums en six ans. Est-ce un rythme qui va se poursuivre ?
Un peu moins ces temps-ci car je dois réfléchir à de nouveaux concepts sonores. Je travaille sur de nouveaux titres, mais rien de finalisé pour le moment car je cherche une idée, un concept pour le nouvel album qui puisse être soit une évolution de No Trespassing soit une transformation plus radicale. De plus, je dois gérer à côté mon activité d’ingénieur du son au sein de QFG STUDIOS, et j’ai aussi deux enfants qui grandissent à vue d’œil et qui demandent ma présence, bref tout cela prend du temps.
Depuis des années, tu es d’ailleurs reconnu comme l’un des principaux ingénieurs du son de la scène électronique et industrielle. Est-ce que cette pratique influence ton travail sur Mlada Fronta ? ou réciproquement ?
Oui mon activité d’ingénieur du son professionnel est intrinsèquement liée à la composition de Mlada Fronta. Je mets au service de la composition mes compétences techniques afin d’arriver plus rapidement à un résultat souhaité. C’est un gros avantage car la maîtrise technologique me permet d’arriver plus rapidement à mes fins. Cela me permet de tester, d’expérimenter dans plusieurs directions dans un laps de temps assez réduit. Je dispose d’excellents outils de traitement en régie studio, le numérique a fait des progrès considérables ces dernières années qui rivalisent maintenant avec du hardware. On arrive à avoir une ferme profondeur, un son avec de la corpulence et de la largeur, ample et qui t’enveloppe à l’écoute. Ce qui est inspirant finalement.
La musique de Mlada Fronta est technologique de par ses outils, mais je joue systématiquement toutes mes parties en temps réel pour apporter ce côté organique et imparfait du jeu humain, un certain feeling. La technologie est si performante aujourd’hui qu’elle peut te pousser à la facilité, à une certaine fainéantise, mais je me force à jouer toutes les parties comme si je n’avais pas le choix, pour préserver cet aspect humain, et c’est une des conditions importantes si tu veux que le morceau fonctionne au final
Quelles sont les prochaines étapes pour Mlada Fronta ? A quoi peut on s’attendre dans les mois à venir ?
A l’heure actuelle, je me focalise sur les sons, les idées, je réunis tout dans un dossier du disque dur et je construis petit à petit pour le prochain album. Concevoir un album est un processus qui qui demande du temps, de la réflexion et de l’observation également. J’écoute beaucoup de musique sur Youtube et j’essaie de découvrir de nouveaux artistes, ce qui pourrait m’éclairer sur de nouvelles idées. Et bien sûr le cinéma, qui reste toujours un des vecteurs majeurs de mes inspirations. Je ne me suis pas donné de deadline pour le moment mais j’aimerais bien sortir un nouvel album en 2021.
Pour finir, il m’est impossible de ne pas parler de la situation difficile que toute la profession connaît avec le COVID. Cette crise met à mal tout un secteur de la musique à rude épreuve. Depuis le mois de mars nos activités ont été coupées net, que ce soit dans le secteur de l’événementiel musical ou dans celui de la production musicale. Les studios d’enregistrement, les studios de mastering, les prestataires sons, lumière, vidéo, les techniciens du spectacle, les salles de concert, les tourneurs, les labels, etc… c’est toute une profession qui se retrouve bloquée et sans aucune alternative proposée. Cela joue sur le moral, c’est certain. Difficile de se projeter et d’imaginer ce que sera 2021.
Et enfin, je finirai par ceci: continuez de vous nourrir de culture, lisez, écoutez de la musique, regardez des films, faites de la peinture, composez, exprimez vous comme bon vous semble, existez !
Et surtout, éteignez votre téléviseur (rires).
Site officiel de Mlada Fronta – Bandcamp